vendredi 28 mai 2010

Jus

Al-qahwa
Bile de la terre
Râpes ma langue
Me plantes un frisson
Je fonds dans ta robe si pure
Ton djinn danse dans mon crâne
Caffè ! Caffè ! Reviens !!
Je ne peux pas vivre sans toi !

jeudi 6 mai 2010

Qui frapper ?

Qu’as-tu fait de ma grand-mère,
Si foldingue, si marrante,
Impulsive et ravageante ?
Tu l’as jetée à la mer.

Qu’as-tu donc fait de ma tante,
Qui aimait tant les enfants,
Forte comme un éléphant ?
Elle ronfle sous la menthe.

Et ma grand-tante Simone,
Qui posait sur nous ses yeux -
Fontaine d’affection bleue ?
Tu l’as flapie un automne.

Et ceux qui ne sont pas morts
Mais qui grésillent encore
Dans ta poêle empoisonnée,
De leur filet prisonniers,
Où veux-tu les emmener ?


Je ne sais plus qui maudire,
Le whisky ou bien le temps
Ou alors c’est triste à dire,
La tristesse de mon sang.

dimanche 2 mai 2010

Si ceci est un homme

Je viens de lire « Si c’est un homme » de Primo Levi. Je l’ai ouvert dans le but de toucher du doigt l’humanité, ce que c’est, comment ça bouge. J’ai été servi au-delà de mes espérances et ce livre a pris place immédiatement dans mon panthéon. D’ailleurs il me semble que tout être humain devrait le lire.

Ça parle d’une situation, celle des Juifs dans un camp de concentration nazi, où l’humanité des individus n’est pas une évidence. C’est pourquoi il me semble que le titre italien serait mieux traduit par : « Si ceci est un homme ».

NB : la suite de ce billet donne des informations sur le contenu du livre.

L’humanité étouffée

On fait une plongée dans l’horreur des camps de concentration. J’ai ainsi appris un certain nombre de points factuels, qui m’ont permis de me faire une idée plus précise de ces événements.

Au-delà de ces faits épars, le trait majeur des camps est l’organisation de la souffrance constante et de la mort. A cet égard, l’apport énorme du livre est, à mes yeux, de souligner à quel point la souffrance constante déshumanise : chez chacun, le besoin de soulager la douleur prend le pas sur la vie émotionnelle et même sur la conscience. Aujourd'hui, on parlerait de zombification.

En d’autres termes, le traitement inhumain éteint l’humanité des détenus, au point qu’ils voient la mort venir sans émotion. Seule compte la possibilité, ici et maintenant, de diminuer la souffrance, en profitant d’un trajet sans fardeau pour se reposer ou en trouvant une miette de pain supplémentaire. Le temps disparaît, en particulier le futur. Primo Levi écrit notamment que, dans l’argot du camp, « jamais » se dit « demain matin ».

L’étouffement de la conscience et des émotions procède directement de la souffrance, parce que celle-ci prend toute la place, mais l’étouffement constitue aussi une défense contre la souffrance : dans un univers où chacun est en mode « survie », la conscience de ce qu’on vit, qui repose sur la comparaison avec un ailleurs, est un ennemi car elle mine encore plus l’individu.

Le traitement inhumain éteint donc l’humanité des juifs, et le nazisme, observant ces hommes qu’il a déshumanisés, peut conclure en sophiste que les juifs sont des sous-hommes.

La vie lutte

L’étouffement n’est cependant pas total, comme le montre l’exemple même de Primo Levi, qui garde un regard suffisamment clair sur ce qu’il vit pour être capable de témoigner ensuite. L’étouffement des émotions n’est pas non plus total, comme le montrent certains moments de compassion.

Ainsi, un autre enseignement majeur du livre concerne la force de la vie : même si la majorité s’éteint comme prévu par le système, certains arrivent à saisir les opportunités pour améliorer leur sort. Il se constitue ainsi une classe "supérieure", avec une espérance de vie bien plus longue.

Les individus de cette classe supérieure présentent des traits individuels spécifiques, en termes d’adaptabilité, de volonté, de rapports humains, de vigueur physique etc. A noter un cas particulier, celui de certains juifs grecs, qui s’appuient sur une très forte solidarité. Il s’agit alors d’une capacité collective.

Par ailleurs, le livre décrit le fonctionnement d’une Bourse au sein du camp, où s’échange le fruit des vols. Les détenus tirent ainsi parti des besoins des personnes travaillant à l’usine hors du camp et des besoins des personnes du camp, volant d’un côté pour revendre de l’autre, souvent après transformation, tout ceci dans le but de réduire leurs souffrances. Ces opérations portent un nom, « kombinacje ».

On constate donc que, même dans les pires conditions imaginables, certains trouvent les ressources pour survivre et que ça passe notamment par les échanges.

Le style

Enfin, je voudrais dire deux mots sur l’aspect littéraire du livre. Si le livre est aussi émouvant, ça tient à ce qu’il raconte, à la posture de témoin prise par l’auteur mais aussi au style. Le style est dépouillé et simple ; il sert parfaitement le propos. Il semble rapporter la réalité sans mélange mais offre aussi un certain nombre de formules très concises et saisissantes.

Je prends pour exemple la première que j’ai rencontrée dans le livre. Dans le convoi qui mène au camp, le narrateur voyage près d’une femme qu’il connaît depuis longtemps mais pas très bien : « Nous nous saluâmes, et ce fut bref ; chacun salua la vie en l’autre. »

Question

Je finis sur une hypothèse peut-être hardie, qui s’éloigne du sujet principal de ce billet : la dureté de la vie dans les camps de concentration semble réduire les détenus à des comportements presque animaux : on pourrait y tuer sans émotion, pour survivre. Je fais l’analogie avec la vie des animaux sauvages.

Sur cette base, je me demande si on peut dire que le confort apporté à l’homme par son intelligence a libéré une marge de manœuvre permettant des comportements « inutiles » pour l’individu, tels que la conscience et la compassion. Et tous les animaux, s’ils étaient intelligents, ne seraient-ils pas capables de développer ces comportements ? Autrement dit, l’intelligence pourrait-elle être la condition nécessaire et suffisante pour que les animaux deviennent aussi humains que l’homme ?

J’aurais tendance à le croire car je vois beaucoup de continuité dans l’évolution des espèces.