vendredi 23 avril 2010

Papillon d'éther

L’alcool ouvre une lucarne
Qui repart avec l’ivresse.
Qu’on paresse sur ses fesses,
Qu’au fond de la mine on marne,

On n’est jamais qu’un tas de viande
Comme allumé de l’intérieur,
Par un feu des enfers vengeur
Qu’on demande et qu’on redemande.

La lucarne est inaccessible
Et chaque fois perchée plus haut,
On s’aperçoit bien assez tôt,
Dans un fracas d’âme impossible,

Qu’on n’y mettra jamais la tête
Que la lucarne est illusion,
Papillon d’éther, piège à con,
Qu’on s’est mis, sur un air de fête,
La grenade dans le calfouette.

lundi 19 avril 2010

Mort à crédit

J’ai cherché un moment un autre titre pour ce billet mais celui de Céline est trop jouissif. J’ai fini récemment ce gros bouquin, après une première tentative avortée il y a quelques mois. Je ne veux pas me lancer dans une critique en règle, étant trop certain de dire des banalités. En revanche, j’ai quelques remarques ponctuelles qui me titillent.

Je trouve certains passages un peu ennuyeux : par moment j’ai l’impression que Céline est une cuve sous pression et qu’il suffit d’ouvrir le robinet pour avoir un jet continu de déblatération. La fin du livre sur les aventures avec le patron du journal d’inventions est une descente aux enfers tragi-comique mais il ne s’y passe finalement pas grand-chose, ce qui fait que sur la longueur, j’étais un peu à la peine.

Peut-on pour autant aller jusqu’à dire que Céline s’écoute parler ? Non, j’ai trop l’impression que le texte a sa propre vie, qu’il lui sort par les trous de nez malgré lui, même si c’est, paraît-il, très travaillé. En tout cas, le texte illustre encore une fois l’alternative qui me préoccupait ici : livre facile à lire ou livre enrichissant ?

Ceci étant dit, les passages où il se passe quelque chose, notamment durant son séjour en Angleterre, sont proprement incroyables. Le style est étourdissant, au sens fort du terme. La scène finale avec la patronne de la pension est dantesque :

« J’entends un petit pas léger… un glissement… c’est elle ! un souffle ! Je suis fait Bonnard !... je pouvais plus calter !... Elle attend pas ! Elle me paume en trombe, d’un seul élan sur le page ! C’est bien ça !... Je prends tout le choc dans la membrure !... Je me trouve étreint dans l’élan !... congestionné, raplati sous les caresses… Je suis trituré, je n’existe plus !... C’est elle, toute la masse qui me fond sur la pêche… ça glue… J’ai la bouille coincée, j’étrangle… Je proteste… j’implore… J’ai peur de gueuler trop fort… Le vieux peut entendre !... Je me révulse !... Je veux me dégager par-dessous !... Je me recroqueville… j’arc-boute ! Je rampe sous mes propres débris… Je suis repris, étendu, sonné à nouveau… C’est une avalanche de tendresses… Je m’écroule sous les baisers fous, les liches, les saccades… J’ai la figure en compote… Je trouve plus mes trous pour respirer… »

Un autre point : ce bouquin est un recueil d’insultes. En fervent disciple du capitaine Haddock, je prends un grand plaisir à copier ici ce court passage, où une madame assaisonne son mari qui perd tout l’argent du ménage en jouant aux courses :

« Pornographe ! Fausse membrane ! Pétroleux ! Lavette ! Egout ! »

Tout est dit.

samedi 3 avril 2010

Mine-hérisson

Après tant d’années bégayées
Et tant d’illusions balayées,
On dirait que la digue craque.
Attention comptes impayés !
Profondes rancœurs étayées !
Le caissier a un air patraque,
Une mine un peu triste et braque,
La grenade est dégoupillée.

Il faut pas venir monnayer
Une indulgence ou bien nier
Qu’on lui a joué des tours foutraques,
Qu’on a craché sur les souliers
Du binocleux petit caissier :
Maintenant qu’il prend sa matraque,
L’œil en code et les tifs en vrac,
La grenade est dégoupillée.

Mouton à l’échine ployée,
Bousculé par les béliers
Or gare ! Le caissier qu’on braque
A fait le tour de son casier,
S’avance et sans sourciller
Balance les pains tout à trac,
Fait tout voler en bric-à-brac,
La grenade est dégoupillée.

Passant, confie donc à tes pieds
Ton salut, file vite ou crac !
Le caissier te plie, patatrac !
La grenade est dégoupillée.