jeudi 12 novembre 2009

Regrets éternels

A la surface de l’étang,
Remontent quelquefois crever
Pâles bulles du fond des temps
A leurs profondeurs enlevées.

Des rêves atrophiés reviennent
Sentant fort la fleur d’oranger,
Ils me font rire et me font peine
Car je ne peux plus me changer.

Je voulais être chorégraphe
Mais voilà, la page est tournée,
Chef d’orchestre, auteur polygraphe,
Las, on se perd aussitôt né.

mercredi 4 novembre 2009

Les Bienveillantes

NB : ce billet donne des informations sur le contenu du livre.

J’ai fini récemment « Les Bienveillantes ».

J’ai longtemps hésité, craignant d’y trouver des horreurs mais on m’a dit qu’il y avait plein de choses historiques à apprendre et ça m’a décidé. Finalement, je n’ai pas été déçu : certaines scènes sont presque insoutenables et il faut s’y préparer. Cependant, elles ne sont pas nombreuses.

Globalement, qu’est-ce que j’en retiens ? C’est un livre exceptionnel.

Sur le plan de la langue, c’est simple et sobre dans l’ensemble. Pas très marquant de ce point de vue mais ça colle bien au personnage du narrateur.

Sur le plan historique, c’est très instructif : sur le déroulement de la guerre à l’Est, sur le fonctionnement de la SS et de l’Allemagne nazie, notamment l’importance des convictions personnelles, les jeux de pouvoir entre hauts responsables et entre organisations, ainsi que l’évolution dans le temps des doctrines et des pratiques.

C’est sur le plan psychologique et humain que le livre pèse très lourd. Se mettre dans la peau d’un bourreau qui n’est pas « antisémite émotionnel », comme il le dit, c’est troublant. Et ce qui est fascinant, c’est de comprendre le fonctionnement interne du narrateur, SS et être humain.

Le livre donne très fortement l’impression que le « problème juif » est effectivement un simple problème et « la solution finale » une simple solution. Le génocide n’est alors plus qu’une solution pragmatique, brutale mais devenue nécessaire vu l’évolution des choses, à un problème jugé grave.

Bon, on est bien d’accord, c’est un roman, il y a eu autant de cas que de personnes etc. mais une fois ces doutes pris en compte, ce portrait d’un type ni primitif ni haineux mais qui joue quand même un rôle actif dans le génocide industriel du siècle est assez crédible.

Virage

En écrivant ce billet, je change d’avis. J’allais dire que c’est un type comme un autre, entraîné dans l’immondice comme chacun aurait pu l’être, mais je me ravise : les passages sur sa vie personnelle, que j’ai trouvés plutôt ennuyeux et assez écœurants, donnent à penser que ce type est fou. Dans les autres passages du texte, son sens du devoir à lame diamantée pointe dans la même direction, de même que son ambition personnelle écrasant sa compassion.

C’est peut-être sur ce point que sa folie éclate et pourtant, dans son métier de militaire, le narrateur est très rationnel. Toutefois, il assiste et participe à des massacres innommables mais il prend sur lui : la folie émerge au moment où, au lieu d’écouter sa pitié, il se détourne pour cesser de l’éprouver, comme pour un mauvais moment à surmonter.

A ce titre, la tirade de sa sœur (pages 1247-48 de l’édition Folio) est déroutante et lumineuse : elle dit que les Allemands ont voulu tuer le Juif en eux, pour accéder à une forme de pureté. Ça me mène à proposer cette définition du nazisme :
- un objectif dément : un idéal de pureté, qui trouve toujours au sein du groupe un sous-groupe souillé qu’il faut éliminer. D’abord les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels, les malades mentaux. Puis les Polonais, puis qui après ?
- un moyen rationnel : la violence industrialisée. C’est la raison au service de la folie.

Donc on trouve des signes de folie assez criants chez le narrateur.

Et pourtant je suis d’accord quand il écrit que bien peu seraient entrés en résistance dans le contexte de l’époque en Allemagne. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en France. Mais entre prendre le maquis, cacher des Juifs, rester passif, soutenir le régime, collaborer et devenir officier SS, on a toute une palette de réactions possibles. Et là, on peut constater que bien peu sont effectivement devenus officiers SS.

Trouble

Pour finir, je veux mentionner l’ouverture du livre, que je trouve véritablement impressionnante. Le narrateur y explique qu’en temps de guerre, tout homme perd le droit de vivre mais aussi celui de ne pas tuer. On peut objecter qu’il est différent de tuer un militaire au combat et un civil désarmé mais cette nuance ne tient pas dans un contexte de guerre ; elle ne sert qu’à justifier la morale des vainqueurs.

C’est un exemple des quelques passages exceptionnels qui parsèment le livre et qui sèment le doute. Finalement, le tour de force de l'auteur, c'est de faire tenir par un fou un discours rationnel presque convaincant.