dimanche 19 octobre 2008

Chasseur cueilleur

Je viens d’achever la lecture d’un album de Sfar, Chasseur cueilleur (Dargaud 2006), premier volet d’une série intitulée La Vallée des Merveilles.

On retombe tout de suite dans le dessin brouillon de Sfar, qu’on connaît dans Le petit monde du golem ou Paris-Londres. Un dessin qu’on peut voir comme pas sérieux, pas soigné, ou bien très libre et terriblement expressif. Pour ma part, je suis adepte de la seconde option.

C’est intéressant de voir que Sfar comme Trondheim considèrent qu’ils ne sont pas très bons dessinateurs. C’est sûr que ça n’est pas la ligne claire d’Hergé ou le dessin doué d’une vie propre de Nine mais il s’agit dans les deux cas de dessins qui atteignent pleinement leur objectif : exprimer l’histoire. C’est quand même l’essentiel.

C’est le cas aussi dans Chasseur cueilleur. L’impression qu’on en retire est celle d’une grande fraîcheur, d’une gaieté presque violente, d’une vigueur brute, voire enfantine. On dirait un conte pour adultes. Le ton s’éloigne de celui d’autres albums de Sfar, qui oscillent habituellement entre l’intellectuel et l’humour. Ici, l’intellectuel est toujours présent mais tapi derrière le tohu-bohu de l’histoire. Ça parle d’amitié, d’amour et des bonnes choses de la vie, c’en est presque philosophique. C’est un peu comme un vin un peu élaboré : une attaque franche et simple, puis une seconde vague plus subtile et plus veloutée.

Autre aspect marquant à mon goût : le cahier final. Je suis habituellement peu intéressé par la genèse d’un album mais là, le cahier prolonge le côté drôle en faisant dialoguer Pot de Miel et Grand Nez qui Déniche sur l’étui pénien idoine. Ensuite, il révèle un peu les raisons de l’album, notamment en lien avec les enfants de Sfar, ce qui est assez émouvant. Il explique ainsi que l’album a été conçu en partie pour garder une trace de l’époque où les enfants de Sfar sont petits. Là où c’est très réussi et que ça fait voyager, c’est que Sfar réussit à fourbir un univers commun aux enfants et aux adultes : l’album peut être raconté à des enfants mais aussi lu par un adulte seul.

Ainsi, après avoir contribué de manière substantielle au courant autobiographique de la BD innovante, Sfar creuse la veine du conte en bandes dessinées. Chasseur cueilleur s’inscrit dans le sillage des Philémon (notamment du point de vue des couleurs et du dessin pas net) et rejoint des albums récents comme Trois ombres, de Cyril Pedrosa, Les cinq conteurs de Bagdad, de Frants Duchazeau et Fabien Vehlmann, et Là où vont nos pères, de Shaun Tan.

Voilà donc encore un bel album de Sfar, qui apporte sa pierre au versant rêveur de la BD actuelle. J’ai en effet l’impression que la BD, après avoir été humoristique, aventureuse, dure, malheureuse et autobiographique, revient maintenant sur une note plus rêveuse.

Un seul petit regret à signaler : Sfar indique dans le cahier final qu’il a donné des indications assez vagues à sa coloriste, citant Gauguin et Matisse. On voit que ses indications ont été parfaitement comprises : Brigitte Findakly fait un superbe travail, avec des à-plats de couleurs très fortes, entre crues et fauves, qui sont essentielles pour l’atmosphère de l’histoire. C’est dommage qu’elle soit citée seulement à l’intérieur de l’album et pas sur la couverture.

Tout ça pour dire que j’attends avec impatience le retour de Pot de Miel et toute sa bonne clique, prévue pour décembre.


Pour une critique plus fouillée de l’album de Sfar :
http://www.du9.org/article.php3?id_article=637

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