dimanche 30 novembre 2008

L'espèce humaine existe-t-elle ?

A première vue, l’espèce humaine est un objet scientifique et mental bien identifié. Sur le plan formel, chacun voit de quoi il s’agit. Sur le plan scientifique, on a aujourd’hui transcrit son génome, au point qu’on se demande où reste la part de mystère de l’Homme.

Mais abordons la chose sous un biais très prosaïque. L’humain abrite en lui, notamment dans son intestin, des myriades de microbes (ce mot désignant ici de petites formes de vie). Ces microbes ont des caractéristiques variées : certains sont dangereux pour leur hôte, d’autres sont dangereux dans certaines conditions (par exemple inoffensifs, voire utiles, dans l’intestin mais donnant la gastro par la bouche), d’autres encore sont uniquement bénéfiques. Parmi eux, certains sont indispensables à la digestion et au système immunitaire. Chaque humain en abrite un millier d’espèces différentes. Par commodité, appelons-les microbuenos (précision en passant : tous les humains n’ont pas les mêmes).

Who's who ?

Ce constat, mine de rien, a des conséquences radicales : si les microbuenos sont indispensables à la digestion, ils sont indispensables à la survie de tout être humain (dans des conditions normales). Donc tout humain qui en serait dépourvu mourrait rapidement. Par conséquent, tous les humains ayant une espérance de vie normale abritent certains de ces microbes.

Où cela nous mène-t-il ? Peut-on considérer un humain comme complet s’il n’a pas ses microbuenos ? En théorie oui, en pratique non. Donc l’humain n’est pas défini de manière opérationnelle sans mention des microbuenos.

Qu’est-ce qu’une espèce ?

Classiquement, on regroupe dans une espèce tous les individus qui peuvent se reproduire entre eux (interfertiles). Les microbuenos sont indispensables à la digestion mais pas à la fécondation. On peut donc imaginer en théorie qu’un homme et une femme dépourvus de microbuenos s’accouplent mais la femme mourrait avant même d’avoir mené la grossesse à son terme, faute de pouvoir tirer parti des aliments qu’elle ingère. Donc la fécondation est théoriquement possible sans microbuenos, en revanche la reproduction ne l’est pas. Par conséquent, sans microbuenos, l’interfertilité sort du tableau. Donc les microbuenos font partie de la définition de l’espèce.

Parlons lichens maintenant. On dit « un lichen » mais les lichens sont en fait la symbiose d’une algue et d’un champignon. Ces deux groupes sont très éloignés : les biologistes ont arrêté récemment que les champignons forment un ordre à part, différent de celui des végétaux. Si on considère généralement un lichen comme une entité unique, pourquoi ne pas faire de même pour l’humain ?

Trouble de l’identité

Alors que suis-je ? Quelles sont les limites de mon corps ? S’arrête-t-il à la paroi intérieure de mon intestin (mais dans ce cas je ne suis pas viable) ou est-ce que je considère que les microbuenos qui vivent dans mon intestin font partie de moi ?

Pour ajouter au brouillage des frontières, invoquons le transfert génétique horizontal : certaines espèces échangent entre elles du patrimoine génétique. Il s’agit notamment de bactéries. Or nombre de microbuenos sont des bactéries.

Voilà un constat saisissant, qui perturbe fortement le modèle classique de l’évolution :
- une espèce n’évoluerait pas seulement par mutation de son génome mais aussi par absorption d’une partie du génome d’une autre espèce ;
- la vitesse d’évolution des espèces et donc la création de biodiversité pourraient être beaucoup plus rapides qu’on ne le croit.

En ce qui nous concerne nous humains, il n’est pas totalement exclu que nous échangions nous aussi des gènes avec nos bactéries.

Pour ajouter encore à notre trouble identitaire, revenons à la nuit des temps, où la vie n’existait que sous forme unicellulaire. Au bout de quelques millions de siècles, certaines cellules se sont agglomérées, puis certains de ces groupes se sont pérennisés et organisés, via la spécialisation de certaines cellules sur des fonctions données. L’humain est l’un de ces groupes : les cellules de la rétine détectent la lumière, celles du foie dégradent le sucre. Pourquoi alors ne pas considérer que les microbuenos sont de nouvelles cellules en voie d’intégration au groupe constitué que nous sommes aujourd’hui ?

Bref

La conclusion de ces déambulations un peu vertigineuses, c’est que la notion d’espèce humaine est un concept, qui comme tout concept, simplifie la réalité : les liens de l’espèce humaine avec son environnement sont si étroits qu’ils en sont presque consubstantiels et qu’il n’est pas si simple de tracer les contours de l’espèce, donc de la définir. Peut-être faut-il plutôt la considérer comme un biotope.




Sur la notion d’espèce :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Espèce

Sur les microbuenos, plus connus sous le nom de microbiote :
http://www.inra.fr/presse/introduction_sia_microflore_du_tube_digestif

Sur la montée en grade des champignons :
http://fr.encarta.msn.com/encyclopedia_761551534/champignons.html

Sujet proche : un exemple de symbiose arbre-champignon :
http://www2.cnrs.fr/presse/communique/1296.htm?debut=152

1 commentaire:

Anonyme a dit…

t'es trop fort,rat de cave!