jeudi 13 novembre 2008

Déblatérature

Plates excuses

Me revoilà, foule hurlante de mes lecteurs. Oui, je t’ai longtemps abandonnée à ton triste sort mais j’ai des excuses : je suis parti en vacances, puis j’ai tellement bu pour fêter la victoire d’Obama que je sors de ma gueule de bois seulement ce matin.

Pour me rabibocher avec toi, foule, je te propose un billet sur la littérature. D’aucuns s’écrient « encore ! » en levant au ciel des yeux exaspérés et chargés de lourdes valises de clichés. Ce à quoi je rétorque insolemment que c’est le premier billet que je fais sur le sujet, sauf à considérer que la BD est une forme de littérature, thèse à laquelle je souscris d’ailleurs. Bien.

Prologue


Un jour que je faisais part de mon goût pour Isaac Asimov, on m’a lancé sans pitié que c’était de la sous-littérature. C’était il y a 8 ans et je ne m’en suis toujours pas remis. D’une, le charmant personnage qui m’a infligé cette condamnation sans appel était très fan de Victor Hugo. Or je déteste Hugo (sans avoir tout lu, hein, je ne suis pas agrégé) : quand j’ouvre un de ses livres, j’ai l’impression de l’avoir perché sur l’épaule, m’arrachant sans cesse mon approbation par l’oreille. J’aime qu’un auteur s’efface derrière son récit.

De deux, énorme débat qui me dépasse largement : si on parle de sous-littérature, cela présume qu’on sache ce qu’est la littérature. Et là, tintin les amis pour avoir une définition succincte et incontestable. Alors, bien que mille autres avant moi se soient essayés à cette tâche dantesque, je vais m’y coller aussi avec mes petites papattes.

Au turbin

Quels sont les ingrédients de la littérature ? la langue (ou le style). C’est peut-être sa composante la plus noble, si ce genre de jugement a un sens. Je n’aime ni Hugo ni Proust, mais je dois bien admettre que leur langue est une merveille de ciselage. C’est comme les tabernacles baroques, je n’en raffole pas mais honnêtement c’est du magnifique travail d’artisan. Un grand maître sur ce plan : Céline.

Ensuite, il y a l’histoire. Ce mot, « l’histoire », ça fait un peu débat de classe de quatrième mais à mon sens, c’est quand même ça qui compte au fond dans le roman. Là je tombe sur un os, qui pourrait bien être la colonne vertébrale de la question : que met-on dans la littérature ? le roman, le théâtre, la poésie, le conte, la mythologie, la saga, le récit oral traditionnel, la chanson populaire… ? j’ai envie de dire : tout.

Etymologiquement, la littérature a pour racine la lettre. De là à dire qu’est littérature tout ce qui est écrit, il y a un pas de géant vert que je ne ferai pas. Cela dit, ça plaide en faveur d’une acception large du terme. On aurait alors quelque chose comme : tout ensemble de mots ayant pour but de raconter des événements et/ou de susciter une émotion, dans une optique esthétique.

« Raconter des événements », c’est le roman, le conte, la mythologie etc.
« Susciter des émotions », c’est la poésie, le théâtre… mais aussi le roman et les autres formes, bien sûr.
« L’optique esthétique », c’est parce que la littérature volontairement moche, ça n’est pas de la littérature à mon avis. Je sais, on entre alors dans l’encore plus vaste débat du beau et d’un de ses avatars suspects : l’art contemporain. Là honnêtement, je n’en parle pas aujourd’hui et je n’en parlerai pas plus tard, ça me gonfle.

Bon, donc, la liste des formes (j’en ai certainement oublié des centaines) est une approche de la définition.

Retour aux ingrédients

Reprenons l’approche des ingrédients. On a vu la langue, détaillons l’histoire. On constate que cet ingrédient n’est pas indispensable à l’adjudication de la bénédiction littéraire : les haikku constituent incontestablement un genre littéraire sans raconter grand-chose. Il s’agit plutôt d’un extrait sec d’ambiance poétisée. Et paf.

Cela dit, l’histoire est un ingrédient riche : on peut vivre sans manger de viande, mais la cuisine avec de la viande est incontestablement une vraie cuisine. Pareil pour la littérature à histoire.

La richesse de l’univers imaginaire est importante aussi. Parmi les ultras du genre, on a Garcia Marquez, Asimov, justement, Jules Verne, Tolkien et mille autres, ainsi que tous les contes et mythologies.

J’attache par ailleurs la plus extrême importance à la manière de raconter, les coups de théâtre, les trahisons, les rebondissements, le mystère, en bref la narration. C’est ça qui fait le caractère captivant d’un livre et qui est la source du premier plaisir de la lecture : l’évasion. Là, il y a beaucoup de grands jedis : encore Tolkien, Rowling, Dumas, Larsson (Millenium). Etonnamment, ces auteurs sont souvent méprisés car vus comme faciles. Mais depuis quand la facilité est-elle méprisable ? et depuis quand empêche-t-elle d’apprécier des choses plus difficiles ? J’aime le gâteau au chocolat, j’aime aussi l’andouille de Guéméné. J’aime Harry Potter et aussi Céline. D’ailleurs Harry Potter est connu pour donner le goût de la lecture aux réfractaires.

Finalement, l’ingrédient peut-être le plus important : l’humanité. Les livres les plus enrichissants sont les plus imprégnés d’humanité : Hemingway, Gary, Giono, Céline. Ce sont aussi parmi les plus difficiles. C’est la première source d’enrichissement par la lecture.

Via l’humanité, on atteint l’ambiance de l’œuvre, là aussi un ingrédient essentiel. Le mystère et la tension de Larsson, l’hypocrisie de Proust, le faux calme d’Hemingway, sont essentiels pour les caractériser.

On touche là un autre aspect : en matière de lecture, le plaisir et l’enrichissement s’excluent-ils mutuellement ? ça fera l’objet d’un billet ultérieur.

Epilogue

Tout ça pour dire qu'Asimov a l'imagination, la qualité de narration, l'ambiance. Il n'a pas un grand style, c'est vrai mais le style n'est de loin pas le seul critère pour qu'une œuvre soit considérée comme de la littérature.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, c’est déjà bien assez long. C’est superficiel, de bric et de broc mais ça s’appelle « déblatérature » donc vous étiez prévenus.


Un dernier mot pour alimenter le long débat qui sans aucun doute suivra ce billet : les cinq meilleurs livres de ma vie :

- Cent ans de solitude, Garcia Marquez
- De l’amour et autres démons, Garcia Marquez
- Les racines du ciel, Gary
- Regain, Giono
- Pour qui sonne le glas, Hemingway
- Voyage au bout de la nuit, Céline

Je sais, il y en a six, c’est la faute au Colombien.






Sur l’art contemporain :
Hors série « Sciences humaines » juin-juillet-août 2002

Puisqu’on parle littérature, je vous soumets ceci :
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre10689.html

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben ca alors, enfin un article de fond qui ne traite pas de petits oiseaux !!! A quand un article sur les trains, mais à ce moemnt là appel moi, je te donnerai les billes et tu mettra en forme.
Plus sérieusement, j'ai lu jusqu'au bout ! et j'ai tout compris moi pôvre scientifique aculturé littérairement parlant.
Je te donne une autre définition, pour moi un livre c'est un objet physique (quid du livre électronique alors ?) dans lequel on a inscrit une réflexion qui n'est pas dans l'instant (pas un journal quoi).
Je sais, ca fait un peu collège de France mais ca me parait bien générique.

Seb

Crave a dit…

Mais il y a des journaux littéraires. Cela dit... s'ils sont littéraires, c'est vrai qu'on n'est plus dans la stricte prise de note. Donc je suis d'accord pour dire que la littérature se distingue de la simple notation de sens. Il s'agit dans ce dernier cas plus de garder une trace ou transmettre une information.

Par contre, à mon sens la littérature c'est d'abord autre chose que de la réflexion. Le genre qui va avec la réflexion, à mon avis, c'est les essais. Je parlais plutôt du roman (et la nouvelle) et de la poésie : le mobile de l'auteur, c'est de faire vibrer le lecteur.

Crave a dit…

Même s'il y a des romans qui font aussi réfléchir.