samedi 20 décembre 2008

La nature est-elle sacrée ?

Régulièrement, les progrès scientifiques et technologiques repoussent les frontières de ce que l’homme peut faire. Pendant un temps, on pensait qu’on mourait si on se déplaçait au-delà de quelques dizaines de kilomètres/heure. Plus récemment, on a pensé que le LHC pourrait créer des trous noirs.

En filigrane se pose la question du caractère sacré de la nature et de l’homme. Je ne veux pas réfléchir ici sur le caractère sacré de l’homme. En revanche, le caractère sacré de la nature paraît plus accessible.

Il est naturel de modifier la nature.

Pour reprendre un raisonnement fait dans un précédent billet, l’intelligence de l’homme est naturelle, dans la mesure où elle est le fruit d’un processus évolutif fondamentalement semblable à celui qui donne telles ou telles caractéristiques à d’autres espèces. L’usage de l’intelligence est également naturel : l’homme laboure des champs, le chimpanzé attrape des fourmis avec des outils qu’il fabrique et range pour la fois suivante. Plus fort, le geai qui vole les glands cachés par ses congénères change les caches des siens : il est capable de concevoir qu’on peut lui faire subir les avanies qu’il inflige aux autres.

Par conséquent, il semble que les modifications que l’homme fait subir à la nature soient fondamentalement « naturelles ». On heurte alors de plein fouet la notion d’artifice : ce que l’homme fait subir au cours naturel des choses, c’est la définition de l’artifice.

C’est parce que l’opposition nature/artifice repose sur une opposition entre homme et nature. Or, comme indiqué dans des billets précédents, il ne me semble pas que l’homme soit fondamentalement différent des (autres) animaux. Dès lors, l’opposition homme/nature est caduque. Il convient plutôt de raisonner en termes d’interactions. Bref, ma raison me dit que la nature n’est pas sacrée, parce que nous en faisons partie et que, comme toutes les autres espèces, nous modelons notre environnement à notre profit, dans la mesure de nos capacités.

Le cousin est mon cousin.

Autre chose me dit au contraire qu’il y a des limites à ce qu’on peut faire subir à la nature. Il s’agit d’une certaine sympathie, voire empathie, vis-à-vis d’autres êtres vivants. Qui n’est pas touché par la souffrance d’un singe soumis à des expériences scientifiques ? Ça vaut aussi pour un lapin ou un chien. Et si ça valait aussi pour un lézard, un insecte, une bactérie ? un pied de menthe ? Les limites de l’empathie en termes d’espèces sont floues et variables d’un individu à l’autre.

Quoi qu’il en soit, selon cette dernière logique, les limites de ce qu’on peut faire subir à la nature sont celles de l’empathie : au-delà d’un certain degré de dissemblance, l’empathie s’évanouit et la manipulation n’est plus entravée.

Ces deux approches portent à conclure qu’il est normal de modifier la nature mais que notre empathie pour d’autres espèces constitue un frein d’ordre émotionnel. La seule vraie limite serait alors celle de notre survie, comme le met en lumière le changement climatique.



Os

Mais alors avons-nous le droit de modifier totalement la nature, tant que cela n’est pas dangereux pour nous ?

Si on est rationaliste, on répond oui, puisque toutes les espèces le font aussi. Si on est sentimental, on répond non, puisque l’humain en vient souvent à dégrader son environnement. Si on est un humain standard, on ne sait pas trop quoi répondre.

On peut sans doute se risquer à dire qu’on a le droit de modifier notre environnement uniquement dans la mesure où ça nous permet de vivre correctement et où aucune modification n’est irréversible.

C'est là qu'est l'os : que signifie « correctement » ? Une espérance de vie à 45 ans sous un tipi ou une espérance de vie à 80 ans avec un portable ? Par ailleurs, comment savoir que tel ou tel changement est irréversible ? Une intervention humaine peut avoir des effets inattendus ou cachés.

On a donc une réponse relativement satisfaisante sur le plan intellectuel mais diablement difficile à mettre en œuvre. Pas très étonnant, vu ce qu’elle reprend du principe de précaution et du développement durable.

A noter toutefois que cette réponse ajoute deux aspects :
- « vivre correctement » suppose de se fixer des limites plus sévères que celles que la biosphère nous impose pour notre survie ; cela suppose de faire preuve d’une certaine mesure ;
- « modification irréversible » ne fait pas écho seulement à un éventuel besoin qu’on aurait de telle ou telle espèce dans l’avenir mais aussi à un respect fondamental de toute forme de vie.



Poire pour la soif

Que dire alors de ceux qui considèrent la nature comme sacrée dans toutes ses composantes ? On pense à des écologistes extrémistes mais aussi à la plupart des peuples premiers. Ils modifient peu leur environnement et, souvent, cultivent des croyances qui sacralisent la nature.

Se pose alors la question suivante : peut-on être « évolué » sans perturber gravement l’environnement ?

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